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La feuille morte, terreau fertile pour les créations d’Alyssa Jos

Avec leur beauté singulière, leur nuancier riche en tanins, leurs jeux de transparence, d’opacité, de matité ou de brillance, les feuilles mortes sont devenues le matériau de prédilection d’Alyssa Jos. La designer végétal les travaille à la main, dans le respect de leur nature, pour créer des œuvres et objets décoratifs connectés au vivant qui font florès dans l’univers de la décoration.  



Alyssa Jos a grandi dans un penthouse perché sur les toits de Paris. C’est dans ce lieu hors norme, doté d’un rooftop et d’une vue imprenable sur la ville, qu’elle a cultivé son jardin créatif. Diplômée des Arts Décoratifs, elle partage aujourd’hui l’ancien atelier de peinture sur céramique que sa mère avait investi avant elle pour exercer ses diverses activités, de créatrice de bijoux à apicultrice. Les ruches ont laissé place à un nouveau projet empreint de nature urbaine. Alyssa compose des œuvres uniques à partir des feuilles mortes qui jonchent le sol de la capitale l’automne venu. Guidée par l’envie d’ennoblir cette ressource organique, locale, foisonnante et esthétique, voilà deux ans qu’elle explore méticuleusement chaque spécimen qui tombe entre ses mains. Pour être élevées au rang de matière, les feuilles passent par un long processus de préparation, dont l’issue est imprévisible. Une saison entière rythmée par les tris, les bains, la mise en sèche et le repos entre deux pages d'un livre… Alyssa conserve précieusement la texture originelle des feuilles qu’elle façonne selon des techniques empruntées au textile pour composer toutes sortes de motifs. Écailles de poissons, plumes, ailes de papillons, vagues, astres et fleurs : libre à chacun de les interpréter.


Feuilles magnolia atelier alyssa jos



Alyssa Jos, présentez-vous

Je suis artiste plasticienne et designer végétal, ma matière de prédilection étant la feuille morte. Mon atelier se situe dans le 10 ͤ arrondissement à Paris. J’y réalise toutes sortes d’œuvres et d’objets pour la décoration intérieure. Je travaille sur mesure, essentiellement pour des architectes, dans le cadre de projets haut de gamme.


D’où vous est venue l’idée de travailler les feuilles mortes ?


J’ai toujours été attirée par l’art et la nature. Après un bac arts appliqués, j’ai fait du design textile et matière à l’école des Arts Décoratifs (ENSAD). J’y ai appris les diverses techniques, le tissage, l’impression, la couleur, le graphisme, mais c’est le travail de la matière qui m’a le plus intéressée dans cette formation. J’ai initié ma réflexion sur l’intégration du végétal pour mon projet d’école et je ne me suis pas arrêtée depuis. Paris est l’une des capitales les plus boisées d’Europe. Chaque année, 4 500 tonnes de feuilles sont ramassées par la collectivité (NDLR – 85 % sont incinérées pour alimenter le réseau urbain d’eau chaude, le reste est composté ou converti en biogaz). Ma démarche reste très artisanale, je ne m’attaque pas aux 4 500 tonnes même si je suis ambitieuse ! Je me suis dit pourquoi cela ne deviendrait pas une matière puisqu’elle est naturelle, en bas de chez moi et qu’elle est belle tout simplement ?



Feuille Pauwlonia Alyssa Jos designer vegetal



Comment avez-vous développé votre processus créatif ?

Aujourd’hui, valoriser les matières naturelles sont au cœur des enjeux, que ce soient les algues, les ressources de la mer, les fleurs, le sable, la terre. En ce qui concerne les feuilles, il existe des matériaux composites à base de fibres végétales broyées, mais on perd les caractéristiques de la feuille et du textile. J’avais envie que l’on puisse les toucher et les manipuler, qu’elles deviennent souples et c’est ainsi que j’ai orienté mes recherches. J’ai commencé à la découper et mis mes premières créations sous-verre, à la manière d’un vitrail, avec des jeux de lumière et de transparence. J’ai poursuivi mes recherches sous-verre jusqu’à ce que je trouve un autre procédé qui puisse me permettre d’atténuer la fragilité des feuilles.


 

Designer vegetal Alyssa Jos atelier Paris



Comment a-t-il évolué ?

La relation au temps est essentielle dans mon projet qui dépend des saisons. Je me suis donc constitué un stock à l’année. Concrètement, les feuilles passent une première étape de tri par variété, par couleur, au cours de laquelle j’ôte les tiges une à une. Puis, je plonge les feuilles dans des bains avec un traitement naturel pendant plusieurs mois. Plus la feuille est épaisse, plus c’est long, comme c’est le cas pour la feuille de platane très présente à Paris. Parfois les bains virent, c’est la nature qui dicte le process. Enfin, je lave les feuilles et les sèche entre les pages de livres. Il y en a partout ! Le travail est long et minutieux, chaque feuille est très précieuse et j’utilise tout, même les tiges.






 

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je poursuis mes recherches. Je me suis rapprochée d’un ingénieur chimiste pour travailler les couleurs et finitions. J’aimerais pouvoir appliquer un vernis, si possible naturel et transparent, qui puisse imperméabiliser la matière tout en conservant de la souplesse. Je suis dans un état d’esprit expérimental, j’ai envie de tester la mode, les installations, les vitrines, il y a tellement de possibilités. Et on me sollicite aussi de plus en plus pour des projets liés à un jardin, un domaine en particulier, qui racontent un territoire et une histoire. Le plus frustrant est de ne pas pouvoir tout faire. Les projets d’architecture sur mesure que j’ai initiés prennent beaucoup du temps et ne verront pas le jour avant 2026.

 




“ C'est la nature qui dicte le process ”


feuilles pauwlonia designer vegetal alyssa jos


Quelles sont vos sources d’inspiration ?


Les feuilles, à l’état brut, car chacune d’elles est unique. Je travaille beaucoup la feuille de platane pour son aspect proche du cuir que j’aime beaucoup. Et la feuille de ginkgo, qui s’apparente un peu aux ailes de papillons ou aux pétales. Leur forme est magique ! Le magnolia est étonnant aussi, c’est l’une des rares variétés dont les feuilles tombent au printemps. Elles sont très épaisses et brillantes.




Qu’avez-vous découvert au contact du végétal ?


J’organise des ateliers pour les enfants et fait un premier workshop entreprise. Les participants sont repartis avec une sensation de bien-être assez proche de la méditation. C’est tellement satisfaisant de savoir qu’ils ont passé un bon moment. Cela traduit l’impact de la nature sur le bien-être. On a envie d’amener la nature dans son intérieur, et dans son for intérieur, surtout après avoir connu le confinement, et quand on évolue dans notre environnement très virtuel.


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Rédaction & photos © Juliette Sebille.


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