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Niyona, l’atout cuir du design contemporain

Le minimalisme d’une ligne de mobilier graphique toute gainée de cuir imaginée par le créateur Isaac Reina et l’architecte François Dubois, c’est eux. L’habillage des tables toutes nappées de cuir du restaurant étoilé Bozar, c’est encore eux. Niyona a le cuir dans la peau.

Fondé à Bruxelles par le couple Nina Bodenhorst et Jonathan Wieme, le studio établit une connexion étroite et singulière entre artisanat, design d’objets et design d’espaces contemporains. C’est de cette interaction entre la matière, les univers et disciplines qu’il exprime sa plus juste définition de la perfection. Un modus operandi bien à lui, grâce auquel il a gagné la confiance de prestigieux commanditaires issus du monde de la mode, de la gastronomie, de l’art et de l’architecture intérieure.

Nina Bodenhorst et Jonathan Wieme nous content cette belle aventure en primeur de leur dernier projet pour la collection d’accessoires lifestyle Kvadrat/Raf Simons.


Nina Bodenhorst et Jonathan Wieme
Le couple formé par Nina Bodenhorst et Jonathan Wieme est à l’origine de Niyona, un laboratoire de design d’objets et d’espaces au service des marques. Célébrant l’artisanat d’excellence, ils ont tous deux reçu la distinction de « maître artisan » du cuir par le guide Homo Faber.

À quand remonte votre initiation au travail du cuir ?


Nina Bodenhorst : Lorsque j’étais étudiante en design industriel à la Cambre à Bruxelles, j’ai harcelé la maison Belge Delvaux pour faire mon stage de dernière année au sein du studio créatif ! Une fois là-bas, j’ai travaillé aux côtés du directeur artistique dans une petite équipe de trois personnes en lien avec les artisans et prototypistes qui mettaient en forme nos dessins. Puis j’ai décroché mon premier poste en tant que directrice artistique pour une autre maison de maroquinerie belge (ndlr – Nathan Baume). Plus je dessinais, plus j’avais envie de comprendre les process pour perfectionner mes projets, explorer le champ des possibles ou au contraire dépasser les limites. Pendant ces trois années, j’ai pris des cours du soir en maroquinerie en parallèle. J’étais entourée d’artisans qui allaient prendre leur retraite alors j’ai commencé à mûrir la volonté de fonder une marque de maroquinerie artisanale belge.


Du design, Nina en est venue à l’artisanat. Jonathan, comment ce passage s’est-il formalisé pour vous ?


Jonathan Wieme : À ce moment-là, j’étais producteur en agence de publicité et je me suis vite pris au jeu de la création d’une marque. J’intervenais sur le positionnement et la construction de son identité à ses débuts. Est arrivé le temps où j’ai dû faire le choix de me consacrer au développement de Niyona parce que nous commencions à prendre en charge des projets de production plus importants. Déjà d’autres marques nous sollicitaient pour fabriquer des séries limitées à leur image, le genre de projets qui n’a pas lieu d’être délocalisé à l’autre bout du monde. C’est ainsi que je suis devenu la petite main de Nina et que je me suis formé dans l’atelier. Par la suite, j’ai continué mon apprentissage chez des artisans en France et au Japon, notamment pour la maroquinerie et la gainerie de malles et coffrets. De Chef de Projet en agence, je me suis reconverti en artisan accompli, il y a dix ans de cela…


Depuis Bruxelles, haute place des galeries vintage, Niyona envisage le design de manière contemporaine, à l’instar du salon Collectible, plateforme réservée exclusivement à la nouvelle création, qui l’a sélectionné parmi une centaine de perles rares à l’international. Pour l’occasion, le duo Nina Bodenhorst et Jonathan Wieme a réalisé une première série d’objets décoratifs aux fonctionnalités versatiles.

C’est impressionnant d’arriver à ce niveau d’expertise en partant de rien ! Quel regard portez-vous sur l’artisanat ?


J.W. : L’envie de se perfectionner et de se remettre en question en permanence est propre à chacun. Peut-être que l’apprentissage est beaucoup plus rapide lorsqu’il est initié sur le tard parce que l’on sait exactement où l’on veut aller. Quand le temps nous est « entre guillemets » compté, on devient pragmatique. Les artisans ont une idée très précise de ce qu’est la maroquinerie, ils cultivent leur savoir-faire et cela fait partie de la tradition qu’il faut respecter et transmettre. Notre savoir-faire s’est forgé au contact de diverses approches académiques de la maroquinerie, de France, du Japon et du Royaume-Uni et nous a ouvert d’autres horizons. Grâce à cela nous sommes en mesure de challenger les process pour mener à bien des projets complexes et variés. Cela demande beaucoup d’écoute et de souplesse de part et d’autre dans le dialogue que nous entretenons avec nos clients. De notre côté cela suppose de bousculer un peu les habitudes et du leur, d’accepter d’enrichir les intentions premières de nouvelles idées qui surgissent au fil de la collaboration.


« On n’appréhende pas un projet en fonction de la matière mais la matière en fonction du projet. »


De quelle manière votre expérience dans la mode et la publicité a-t-elle été bénéfique dans votre travail ?


N.B. : Nous ne sommes pas seulement des artisans, nous avons fait tous les deux des écoles créatives, nous savons tous les deux dessiner, nous avons des idées, nous sommes designers, nous sommes chefs de projet... Et nous maîtrisons une matière. Les autres ateliers ne maîtrisent pas forcément un projet dans sa globalité.


J.W. : Ce n’est pas si évident que cela de traduire une idée en passant par toutes les étapes nécessaires : la conception, le dessin, la création, le prototypage, la mise au point, la production que l’on maîtrise sans perdre de vue le dessein de départ des clients. La plupart d’entre eux s’adressent à nous parce qu’ils savent que nous pouvons aussi bien concevoir une pièce unique de mobilier un peu disruptive comme nous l’avons fait avec l’artiste Ben Storms, que de repenser la mise en scène d’un restaurant étoilé ou accompagner le développement d’une ligne d’accessoires pour une marque. On veut que notre client nous commande du souple, du rigide, de la maroquinerie, de la gainerie, de la marqueterie… ne pas se limiter à une technique, intégrer d’autres matières - bois, céramique, pierre - même si c’est plus difficile, plus long et moins rentable de prendre en compte toutes les techniques et perspectives qui s’offrent à nous. Nous mesurons la chance de pouvoir faire ce que nous aimons à travers la vision de nos clients.


La table en marbre In Vein Kurozan est une édition spéciale réalisée par l’artiste belge Ben Storms en collaboration avec Niyona. Le studio a habillé les tréteaux de sangles en cuir à l’aspect précieux obtenu par tannage et laquage de peausseries japonaises Kuroge Wagyu. Le projet In Vein a reçu le label Henry Van de Velde de Design Flanders et a remporté le prix « Best Contemporary Design Piece » au PAD Paris.

Vous avez collaboré avec des grands chefs étoilés et des tables renommées… En quoi l’univers de la gastronomie a-t-il exercé une influence sur votre travail ?


N.B. : À l’origine, nous étions focus sur l’objet sac. En d’autres termes le design, le produit et la mode. C’est un monde dans lequel la concurrence est telle que le travail de l’artisan ne peut pas être rémunéré à sa juste valeur. Peu à peu, nous nous sommes mis à créer des objets pour d’autres marques ou personnes. C’est alors que Jonathan a dessiné un tablier d’un style graphique qui nous caractérise encore aujourd’hui. Cet objet qui symbolise l’artisanat, a marqué le point de départ d’une longue série de collaborations avec d’autres secteurs.


J.W. : Aujourd’hui, nous intervenons dans les domaines de l’architecture d’intérieur, du design, et aussi du lifestyle mais c’est précisément le passage de la mode à la gastronomie qui nous a permis de donner une résonance particulière à nos valeurs. Nous avons découvert des personnalités très simples dotées d’une exigence très forte dans le travail, qui ont une appétence commune pour la matière et les savoir-faire, en cohérence avec notre approche de qualité et de durabilité.



De gauche à droite : Décor mural « Lusitania », évoquant une série de vagues laissées par le RMS Lusitania au départ de Liverpool en 1907. Un projet conjoint de Niyona et de l’atelier Relief pour le restaurant Lusitania. Set de table évolutif en cuir pleine fleur souligné de dorures conçu sur mesure par Niyona pour le restaurant belge Castor et son chef Maarten Bouckaert.

Comment avez-vous évolué du design d’objet au design d’espace ?


J.W. : Ce n’est pas par hasard si le tablier a été adopté par les chefs étoilés (ndlr – en premier lieu le boucher star Dierendonck) car c’est un objet qui représente visuellement et esthétiquement la gastronomie. De là, nous avons décliné une multitude d’accessoires (cartes, sets de tables, porte addition) et composé de véritables scénographies autour de l’art de la table, jusqu’aux décors et installations artistiques. C’est ainsi, assez naturellement que nous avons noué des contacts avec des architectes d’intérieur, des designers et des galeries. Nous avons eu l’occasion de faire une collection de mobilier gainée de cuir végétal avec l’architecte Bernard Dubois et le créateur Isaac Reina. Des pièces très minimalistes éditées jusqu’à 24 exemplaires pour la Galerie Maniera à Bruxelles. Un travail de précision et minutie poussé à son paroxysme pour matérialiser la pureté et l’élégance des lignes.



Ligne de mobilier MANIERA21 par l’architecte bruxellois François Dubois et le créateur parisien Isaac Reina pour la galerie Maniera. Le travail de gainerie en cuir végétal naturel est réalisé par Niyona Studio. Une ode à la perfection puisqu’aucune couture ne peut être détectée pour célébrer les lignes continues de chaque volume en cuir massif.

Comment votre histoire avec l’éditeur de textile danois Kvadrat s’est-elle construite ?


J.W. : Cela fait deux ans maintenant que nous avons initié le prototypage, développement et suivi de production d’une capsule d’accessoires lifestyle dessinés par Raf Simons. Ce sont les premiers objets de décoration intérieure - boîtes de rangement, miroirs… - dessinés par le créateur belge pour la marque, qui plus est en cuir. C’est un projet qui diffère de ce que nous avons l’habitude de faire, dans la mesure où nous suivons la production de l’atelier italien que nous avons identifié et formé pour répondre à la même exigence de finition calibrée au micro millimètre près. Et nous avons dû faire au préalable tout un travail de recherche chromatique avec les tanneries pour faire matcher la couleur du cuir avec le textile.


Interprétation contemporaine du rail Shaker, le système de rangement mural issu de la première collection d’accessoires imaginée par Raf Simons pour la maison de textile danoise Kvadrat. Un projet que Niyona suit depuis deux ans avec Liesbet Verstraeten de Studio Cuoio.

Quel est votre rapport au cuir ?


J.W. : Concevoir des accessoires pour une marque ce n’est pas juste de la création ou de la main d’œuvre cela implique également de nombreux échanges avec les tanneries sur l’esthétique et le prêtant d’une peau. Ces paramètres sont déterminants pour définir le type de tannage et les finitions. Le cuir appelle une telle diversité d’aspects et de touchers que nous n’avons jamais fait le tour. A contrario, c’est un matériau qui ne pardonne pas, chaque étape demande beaucoup d’efforts car la moindre erreur sera visible sur le résultat final. C’est un travail assez méditatif, qui exige d’être au calme et posé. ▪▪


Rédaction © Juliette Sebille
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