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À quoi ressemblent les fibres textiles du futur ?

Fibre de banane, fibre d’algue, fibre de Kapok… les textiles durables, tout le monde en parle, mais savez-vous vraiment à quoi ressemblent ces matières nouvelle génération ? Et comment pourriez-vous les introduire dans vos collections ?


Ces questions animent le quotidien de Regina Polanco. En 2014, elle a fondé Pyratex, un laboratoire de recherche et développement pour les marques, créateurs et enseignes de mode en quête de textiles alternatifs. L’objectif ? Réduire la pression sur le coton et l’usage de matières synthétiques qui comptent encore pour 21 % et 68 % du marché textile en 2021.


Regina Polanco, fondatrice de Pyratex

Regina Polanco, fondatrice de Pyratex, laboratoire de recherche et développement pour les marques, créateurs et enseignes de mode en quête de textiles alternatifs.


Comment en tant qu’avocate en êtes-vous venue à concevoir les textiles de demain ?


Tout a commencé par un projet de création de marque de mode à la fin de mes études de droit. J’appartiens à la génération Y aussi connue sous le nom de Millennial et je voulais créer l’uniforme du futur, un vestiaire pour le quotidien qui prenne en compte nos besoins et considérations. Au fil de ma démarche, j’ai découvert l’industrie textile qui m’a fascinée.


Pour concevoir mes premières collections, je me suis lancée dans le développement de coton organique parce que je n’avais rien trouvé de mieux pour rallier mes valeurs. Mais je me suis rendu compte que les fibres à la fois naturelles et fonctionnelles faisaient défaut. Dans l’industrie textile, les performances des matières reposaient essentiellement sur l’usage de fibres synthétiques ou les traitements de finition à base de chimie.


« dans le textile, only sky is the limit »

En 2014, après avoir créé une petite collection, j’ai commencé à collaborer avec l’institut technique textile espagnol Aitex, qui m’a permis de livrer la première matière Pyratex. Grâce à ce laboratoire, j’ai pu me présenter à un programme d’incubation parrainé par Adidas et Deutsche Telekom et j’ai développé cinq nouvelles matières en un an. Aujourd’hui, nous avons plus de 60 matières ! Puis, l’année suivante, j’ai intégré l’incubateur de start-up Look Forward by Showroomprivé qui m’a beaucoup aidée au niveau du business plan et des aspects commerciaux.


Le droit a toujours revêtu une grande importance dans la démarche de Pyratex, du moins dans la structuration de l’entreprise. Nous sommes un laboratoire de Recherche et Développement donc la protection légale des formules est une composante clé de nos relations avec nos partenaires, tant du côté des marques que des fournisseurs.


Comment définiriez-vous votre métier ?


Nous sommes avant tout une société de Recherche & Développement. Nous développons des matières à partir de nouvelles fibres que nous commercialisons aux marques de prêt-à-porter sur les segments de la mode, de l’athleisure et du sport. Spécialisés dans la maille circulaire, nous travaillons avec un réseau d’usines partenaires pour la production de ces fibres, leur transformation en fil et leur tricotage.


Sur quels critères sélectionnez-vous les matières brutes qui composent vos textiles ?


Nous ne sélectionnons pas uniquement des fibres pour leur caractère naturel, mais aussi pour leurs performances. C’est essentiel pour constituer une alternative aux fibres synthétiques plébiscitées pour leur fonctionnalité. Or, quand on travaille une fibre avec des propriétés antibactériennes, rien ne nous garantit que le fil ou que la matière finie tricotée teintée à l’issue du processus conservera ses propriétés. Et ce sont précisément ces particularités que notre laboratoire de Recherche et Développement essaie d’amplifier. Aujourd’hui, nos matières offrent douze qualités différentes (NDLR - protection UV, haute respirabilité, antioxydante, séchage instantané, rétention de chaleur…) que nous testons à tous les stades du cycle de vie.


Autre point très important, nous nous efforçons de sélectionner des fibres plus responsables que celles communément employées dans le secteur et de les faire certifier. Cela nous oblige à croiser énormément de paramètres impliqués dans les processus de transformation des fibres, tels que l’usage de l’eau et de l’énergie, mais aussi la durabilité des textiles. À quoi bon concevoir un textile à base de fibres d’algues si on n’en fait pas une matière qui puisse être suffisamment résistante pour supporter les lavages et résister dans le temps ?


Enfin, il faut que les fibres puissent être développées à grande échelle, car on découvre des fibres très récentes, mais qui hélas ne sont pas assez matures pour offrir la scalabilité nécessaire à l’industrie de la mode.



En quoi la fibre d’algue est l’une des fibres les plus prometteuses en matière de réduction d’impact ?


La majorité de nos clients sont français et européens, mais il est rare de pouvoir leur présenter des fibres locales d’origine européenne telle que seaweed (NDLR – fibre d’algue Pyratex) avec un faible impact en matière de transport.


La maille PYRATEX® cosmétique 7 est composée de fibres à base d'algues et de bambou dotée de propriétés antioxydantes. Le créateur new yorkais Philip Lim a créé une robe dans cette maille filet, ornée de perles et de paillettes en bioplastique d’algues.


Alors que 50 % du renouvellement de l’oxygène sur la planète revient aux algues, comment peut-on les exploiter intelligemment tout en préservant la ressource ?


Cette fibre est collectée en Islande où l’algue brune est cultivée. On l’utilise notamment comme fertilisant organique pour les sols. C’est une plante qui se régénère de façon rapide (NDLR – deux à quatre ans). On ne coupe que la partie supérieure de l’algue qui sera séchée et transportée avant d’être transformée en poudre et mélangée à de la cellulose de bois. Le processus de transformation est celui du Lyocell, une fibre de cellulose qui consomme peu d’eau et d’énergie par rapport aux matières traditionnelles. Nous poursuivons notre Recherche & Développement pour évaluer d’autres variétés d’algues, issues d’autres régions du monde. L’objectif serait de pouvoir fournir des produits locaux aux marques avec lesquelles on travaille. Jusqu’à maintenant toute notre chaîne de production était basée en Europe, mais depuis peu certaines de nos matières sont fabriquées au Mexique. Ce pays regorge de matières naturelles, notamment d’algues qui prolifèrent sur la côte atlantique. Donc, on essaie de voir ce que l’on peut en faire, quelles en seraient les applications potentielles… Cela peut prendre des années avant de pouvoir établir des processus de production, qui sont complexes et très encadrés.


Quelles sont les variations possibles pour les textiles seaweed au regard de la charge d’algues et de cellulose ?


La charge d’algue se situe autour de 20 % dans la composition de la matière totale si l’on veut conserver des propriétés antioxydantes et obtenir des performances de haute respirabilité bénéfiques pour la peau. Hormis la cellulose, nous proposons des associations avec du coton qui nous permettent de jouer sur différentes épaisseurs et de nous adapter au besoin des clients. La version 100 % algue existe, mais demeure plus onéreuse.



De gauche à droite : La fibre Pyratex Element 2, développée pour une capsule avec la marque Ganni, est obtenue à partir d’agro-déchets de la culture des bananes (déchets de feuilles, de troncs et de branches). Collection Trees for all Scotch & Soda à partir des déchets agricoles des bananiers, d’orties et de coton bio.

En quoi la biodégradabilité de l’algue peut être un frein à un usage pérenne de la matière, comment avez-vous déjoué cette problématique ?


Prenez une fibre de coton, elle ne se dégrade pas dans notre armoire, elle se dégrade sous certaines conditions. De fait, toutes les fibres sont biodégradables, même les fibres synthétiques, la question c’est en combien de temps et dans quelles conditions ? Des produits contenant du polyester, du lycra ou de l’élasthanne peuvent prendre jusqu’à une dizaine d’années pour se dégrader dans un environnement optimal, alors que le processus de biodégradation sera beaucoup rapide pour les fibres naturelles comme l’algue ou le coton.



« toutes les fibres sont biodégradables, même les fibres synthétiques, la question c’est en combien de temps et dans quelles conditions ?»


Avez-vous réalisé une analyse comparative du cycle de vie du matériau seaweed afin d’évaluer son impact par rapport à d’autres matières couramment employées ?


Nous avons mis en place des chaînes de production qui remontent à la fibre. Par conséquent, énormément d’informations entrent en compte pour faire des analyses. Nous collaborons avec l’entreprise B Corp pour nous aider dans notre démarche et aujourd’hui, nous adressons ces analyses à tous nos clients. Concernant la maille seaweed (20 %), si on la compare à un coton conventionnel de même épaisseur et de même titrage (NDLR – grosseur du fil), on économise 304 litres d’eau par mètre, ce qui correspond à ce dont on a besoin pour faire un tee-shirt, et on réduit les émissions émanant du processus de production à hauteur de 2 kg de CO².


Comment avez-vous réussi à allier performance produit, liberté créative et faible empreinte écologique ?


Aujourd’hui, beaucoup de clients demandent des matières naturelles, mais il est parfois difficile de faire comprendre aux marques que le naturel n’est pas toujours la meilleure solution. Par exemple, nous travaillons avec des teintures réactives qui nous permettent de décliner toutes les couleurs possibles pour leurs productions. La tenue des couleurs est très satisfaisante et on arrive à préserver les propriétés des fibres. Nous travaillons également avec des teintures naturelles, mais si l’on veut que la couleur pénètre pleinement la matière, qu’elle résiste aux lavages et aux séchages, il faudra la teindre plus longtemps, à une température plus élevée. C’est là tout l’enjeu de notre Recherche et Développement : concevoir des produits à la fois performants et écoresponsables.


Quelles sont les dernières innovations que vous avez pu développer ?


Nous sommes en train de lancer nos premières productions de matières à base de résidus agricoles issus des plantations de bananiers. Il s’agit des feuilles et des tiges qui n’ont pas d’utilité dans le cadre de ces exploitations. Néanmoins, elles peuvent être aisément transformées en fil par un processus mécanique à la vapeur, sans additifs d’autres matières. Outre l’usage que l’on peut en faire dans l’industrie textile, l’aspect social est fort intéressant. En Inde, cela représente une source de revenus supplémentaire pour des familles de paysans qui travaillent dans les plantations de bananes.

Nous avons également développé une matière très douce et très chaude à partir d’Abaca, idéale pour les lancements de collections automne-hiver. L’Abaca est un autre type de bananier, qui ne donne pas de fruit, mais sa fibre est réputée pour ses propriétés proches du lin ou du chanvre.


« il est parfois difficile de faire comprendre aux marques que le naturel n’est pas toujours la meilleure solution »

Parmi les autres fibres végétales, la fibre de Kapok nous semble particulièrement pertinente comme alternative à la laine. Le process diffère de la banane ou de l’algue dans le cas du kapok, car c’est la fleur qui est récoltée. Pour faire du fil, elle est simplement mélangée à d’autres fibres comme le modal, sans eau, alors que la transformation de la laine en maille nécessite de nombreuses étapes pour des propriétés isolantes quasi équivalentes.


Pouvez-vous nous citer des exemples de réalisations avec des marques ?


Agatha Ruiz de la Prada a souhaité faire tous les looks de son dernier défilé avec des matières Pyratex. Ce fut un véritable challenge de concevoir des vêtements couture en maille circulaire, qui sont d’ordinaire travaillés en chaîne et trame, tout en formes et en volumes. Pour les pièces nocturnes, brillantes et pailletées, nous avons fait appel à des designers textiles passionnées qui ont mis au point des sequins naturels (NDLR - versus plastique). C’était très satisfaisant de pouvoir nous exprimer sur un registre créatif. D’ailleurs, la collection du défilé a porté ses fruits puisque la marque va produire la déclinaison commerciale.


D’autre part, nous avons eu la chance de collaborer avec Albert Elbaz pour la dernière collection Albert Elbaz qui a été présentée l’année dernière, contribution qui nous a particulièrement marqués. Cet été, nous avons développé toutes les matières pour la collection Trees for all de Scotch & Soda à partir des déchets agricoles des bananiers, d’orties et de coton bio. À la rentrée, la marque Ganni a lancé un survêtement également confectionné dans notre matière « banana agriwaste ».


Défilé printemps/été 2023 Agatha Ruiz de la Prada. La marque a collaboré avec Pyratex pour créer une collection exclusivement à partir de fibres innovantes, qu'elles soient issues de bananes, d'algues, d'orties, de bambous...


Quels sont les prochains challenges à relever dans le cadre de votre activité ?


L’industrie de la mode doit s’adapter aux nouvelles réglementations et réduire son impact. Dans ce contexte, les marques ont des objectifs très complexes et rencontrent des difficultés essentiellement pour des contraintes de coûts ou des questions de timing. Elles doivent se familiariser avec des processus de transformation qui ne sont pas encore aussi industrialisés que ceux des fibres que l’on pratique depuis des dizaines, voire des centaines d’années. Cela demande beaucoup de travail, beaucoup d’éducation auprès des consommateurs et des équipes de production qui veulent des matières en fibres de banane produites et livrées en deux semaines et au même prix qu’un 100 % polyester 100 %. In fine, dans tout challenge, il y a une opportunité. L’industrie textile est confrontée à une crise de la supply chain, on voit bien que certaines fibres traditionnelles viennent à manquer. Pour Pyratex, c’est l’opportunité de pouvoir proposer des alternatives et de faire face à cette crise. ▪▪


Rédaction © Juliette Sebille
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