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Lily Alcaraz et Léa Berlier, impression, tissage et design

Leurs créations sur mesure revêtent les plus beaux intérieurs du monde. Boutiques de luxe, hôtels en vue, maisons particulières et mobilier hors normes…

Léa Berlier et Lily Alcaraz tissent leurs décors à l’unisson. Ensemble, elles ont apprivoisé le geste du métier sur les bancs de l’ENSCI – Les Ateliers. L’activité qu’elles ont créée en 2009, suit la double trame d’un atelier de tissage et d’un studio de design dans un chassé-croisé de fils et de motifs.


Leur travail parle de leur affinité pour le Japon, des savoir-faire ancestraux qu’elles ont exploré dans le quartier de Nishijin à Kyoto. Des étoffes précieuses nées à l’ère Heian, elles conservent les inclusions audacieuses, tel le papier. Des matières structurantes (cuir, bois, feutre de laine) qu’elles ajoutent à leur répertoire au fil de leurs collaborations. Mais aussi les subtilités de relief et de teintes qui accrochent la lumière. Rencontre.


Portrait Léa Berlier et Lily Alcaraz



Lily Alcaraz et Léa Berlier, présentez-vous en quelques mots


Lily : Nous sommes toutes deux designers textiles, spécialisées en tissage. On travaille ensemble depuis 2009, date à laquelle on a fondé notre atelier. Nous créons des pièces uniques tissées à la main pour les décorateurs et les marques de luxe (NDLR - Moinard Bétaille pour Cartier, RDAI pour Hermès, Tristan Auer, Stéphanie Coutas…). En parallèle, on développe des collections de textiles, des motifs et des gammes couleurs pour des marques de mode et de décoration.



Tissage bois sur métier à tisser atelier Lily Alcaraz et Léa Berlier



Comment est née votre vocation pour le tissage ? 

Lily : Je suis entrée dans une filière d’arts appliqués dès la seconde. Léa est allée à la faculté d’Arts plastiques après le bac. Nos familles nous ont sensibilisées à l’art et nous ont laissé choisir nos études. Le design textile s’est assez naturellement imposé à nous. Il s’inscrivait dans le prolongement du travail initié autour de la matière, et nous permettait de poursuivre le dessin et la recherche couleur. Nous nous sommes connues à Duperré en BTS design textile, une formation qui était assez généraliste. On avait vraiment envie d’apprendre à faire un tissu de A à Z. Et nous avons eu la chance d’être toutes les deux reçues à l’ENSCI en section textile.


“ Les premières fois que l’on a tissé sur un métier, c’était magique ! ”

Lea Berlier sur son métier à tisser dans son atelier à Paris

 

Quelle expérience faites-vous de la matière ?


Léa : Le tissage est un savoir-faire ancestral assez traditionnel. Associé à des techniques plus récentes, comme la découpe laser ou l’impression numérique, il nous ouvre d’autres perspectives.

Lily : Par exemple, nous avons fait de nombreux tests avec des baguettes pour intégrer le bois dans nos tissages. Après une phase de recherches, nous nous sommes rapprochées d’un ébéniste spécialisé en découpe numérique (NDLR - Jean Brieuc Atelier à Angers). Grâce à cette collaboration, nous avons pu aboutir à un tissage de bois. C’est un matériau qui demande des compétences spécifiques, tout comme le cuir. Dans ce domaine, nous travaillons avec la Maison Fey, spécialisée dans la gainerie. Elle nous fournit les bandes de cuir, que nous tissons, et elle se charge de la mettre en volume sur du mobilier ou des revêtements muraux.


Léa : Nous tissons également le papier, un des premiers matériaux que l’on a utilisés, avec lequel on peut réaliser des motifs assez complexes. On s’inspire aussi de l’ikat et du kasuri, deux techniques ancestrales de teinture des fils à la réserve (NDLR - avant le tissage) que l’on a adapté au papier. On peint les bandes de papier avant tissage, et on recompose tout, c’est très différent d’une impression, c’est un motif qui se lit dans la matière.



Tissage cuir Lily Alcaraz et Lea Berlier



Que disent vos créations de vous ? 

Lily : L’esthétique du Japon infuse dans notre travail. La culture, l’architecture et l’habitat, l’art de vivre nippon nous fascinent depuis nos débuts. Cette appétence n’a fait que grandir avec les voyages que nous avons faits ensemble là-bas.

Léa : Nous sommes allées au Japon pour travailler avec des artisans locaux dans le cadre de workshops organisés par la Ville de Paris et de Kyoto. Nous n’avons pas encore entièrement percé le mystère de l’ikat mais cela nous a donné des idées pour perfectionner notre technique. Sur place, nous avons visité de nombreux ateliers. Grâce à cela, nous avons élaboré des projets de teintures shibori et de textiles Nishijin pour un fabricant de kimonos et obis (NDLR – ceintures).


Lily Alcaraz travaille sur le métier à tisser dans son atelier à Paris



Comment imprimez-vous votre style ?


Léa : Nous réalisons plutôt des tissages mono matières que l’on croise avec le fil dans un style graphique et pur. Un travail de trame singulier autour du bois, du cuir, du papier, du feutre de laine qui nous permet d’exploiter pleinement les caractéristiques des matériaux. On aime jouer avec la couleur également que l’on exprime par le fil.




tissage papier lily alcaraz lea berlier lampe pierre charrié


Quelle réalisation vous est particulièrement chère ?


Lily : Les « luminaires pinceaux » que nous avons conçus en collaboration avec le designer Pierre Charrié. Au départ, il s’agit d’un tissage de bandelettes de papier peintes à la main que l’on a croisées avec du nylon transparent de manière à créer un habillage suffisamment structuré et translucide. Sans le vouloir, la tension entre les deux matières a galbé le papier. Des petits ponts se sont formés çà et là à la surface du papier, laissant passer la lumière. Quand on allume, on peut contempler une constellation de petits points lumineux.

Léa : La lampe a été éditée par la Great Design Gallery et le CNAP (Centre national des arts plastiques) en a acquis un exemplaire.

 


Comment retranscrit-on l’univers d’une marque avec ses deux mains ?

Lily : Quand on travaille pour des marques, on propose des motifs et des couleurs en accord avec leur univers et cahier des charges.

Léa : Pour les tissages, les architectes et décorateurs consultent nos collections, que l’on modifie au besoin. Parfois, on nous demande des développements inédits, qui incluent de nouvelles phases de réflexion et d’expérimentations sur la matière, le motif et la couleur.

Lily : Ces deux activités se nourrissent et c’est ce qui nous plaît. On a couplé le studio de design avec l’atelier de tissage dès le départ. Travailler ensemble nous donne le loisir de permuter les tâches, de façon assez équilibrée.

 

Lily Alcaraz et Léa Berlier dans leur atelier à Paris



Actuellement, quelle est la tendance ?

Lily : Au niveau du studio, la tendance est plutôt au motif figuratif (paysage, floral), après avoir fait de l’abstrait et du géométrique pendant longtemps. Mais cela reste très varié.

Côté tissages, on bénéficie d’un regain pour les savoir-faire artisanaux et le travail manuel, en particulier le textile. Le local, le fait main à petite échelle ont la cote, même pour les projets de grande envergure. On reçoit de nombreuses commandes de textiles muraux et de panneaux décoratifs.





Travaillez-vous sur ordinateur ?

Lily : Bien que l’ordinateur fasse partie du travail préparatoire, il n’intervient pas aux prémices d’un projet. On expérimente d’abord sur le métier à tisser, de manière assez intuitive, assez libre avec les couleurs, les trames et les fils de chaînes. Un passage obligé pour tester les réactions de la matière en situation. Une fois qu’elle est au point, on cherche les déclinaisons sur ordinateur, on simule des répétitions de motifs ou on teste de nouvelles couleurs. C’est particulièrement vrai pour les techniques d’ikat, il faut placer le motif qui sera sur la chaîne paire et impaire. Idem pour la trame, donc tout cela se prépare à l’aide du numérique.

Léa : Nous travaillons sur des métiers entièrement mécaniques, activés par des pédales et des manettes, contrairement aux métiers à tisser industriels. On aime bien « faire nous-mêmes ».

 


detail ourdissage metier à tisser


L’urgence climatique a-t-elle un impact sur votre activité ?

Léa : Nous privilégions les fournisseurs français, les matières locales, les partenaires de proximité. Nos clients sont attentifs à la provenance des matières. Nous utilisons essentiellement des matières naturelles, issues de stocks dormants parfois.

Lily : Au sein de notre petit atelier, on tisse au plus près des besoins, et réutilise les chaînes pour faire des échantillons. On ne jette que très peu de choses et ne consommons pas d’électricité pour nos métiers qui sont mécaniques. Bref à notre échelle, l’impact reste faible.

Léa : On source régulièrement des matières avec un positionnement plus écologique, mais il n’y a pas toutes les couleurs. La recherche prend plus de temps sur ce type de matériaux.

 




Comment organisez-vous la veille ?

Lily : On essaie, dès qu’un moment s’offre à nous, de démarcher quelques entreprises avec lesquelles on aimerait travailler. On se rend également sur les salons, car c’est indispensable d’être au fait des tendances.

Léa : Et nous participons à des expositions comme la biennale Révélations, cela nous pousse à imaginer de nouvelles œuvres.

 

échantillons textiles tissés à la main par lily alcaraz et lea berlier



Quel regard portez-vous sur l’avenir ?

Léa : On arrive à un moment charnière de notre évolution. Nous sommes très occupées et on réfléchit à la suite. Doit-on rester à petite échelle ou étoffer notre équipe ? Quoi qu’il en soit, la transmission s’impose pour continuer à développer l’entreprise.

Lily : Notre activité est très variée et on tient à préserver cet équilibre. La difficulté, c’est d’anticiper. Les délais sont relativement courts entre la commande et la livraison. Les personnes ne se rendent pas toujours compte du temps nécessaire pour faire un tissage à la main. Certains peuvent prendre jusqu’à six mois entre les différentes étapes - début, développement, échantillonnage, propositions de tissage et allers-retours avec les clients -.

 




Dans quel environnement de travail vous inscrivez-vous ?

Léa : Nous avons résidé au sein des Ateliers de Paris, l’incubateur du Bureau du Design, de la Mode et des Métiers d’Art (BDMMA). Et du viaduc des Arts. Nous sommes toujours en contact avec les équipes qui suivent les artistes et résidents. Encore aujourd’hui, quand on a des questions sur notre structure ou d’ordre juridique, elles sont de bon conseil. C’est rassurant de pouvoir compter sur ce réseau.

Lily : Il y a un an, nous avons emménagé dans le 20e arrondissement de Paris. Nous partageons le rez-de-chaussée d’un immeuble avec cinq autres ateliers de la Ville qui donnent sur un joli square. C’est l’occasion de jouer les synergies et d’ouvrir nos portes aux collégiens du quartier pour leur faire découvrir notre métier…

 


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Rédaction & photos © Juliette Sebille.

 

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