SET DESIGNER, CLAIRE BOREAU IMAGINE DES DÉCORS POUR DES MAISONS DE LUXE, DE PARFUMS ET DES MAGAZINES DE MODE. ELLE PUISE DANS L’UNIVERS DES MARQUES ET LA SYMBOLIQUE DE LA NATURE POUR EXALTER LEUR DIMENSION SENSORIELLE ET NARRATIVE. UN MÉTIER AUTANT MANUEL QU’INTELLECTUEL.
Elle se définit fleuriste, mais très vite, elle a su qu’elle ne tiendrait pas boutique. Au mi-temps des années 2010, la profession, en plein essor de vocations, vit une petite révolution. Après des études d’art, Claire Boreau se forme à la botanique et l’art floral. Elle lance son activité hybride de set design et de fleuriste événementiel. Sa vitrine : Instagram. Rompant avec le commerce traditionnel, la jeune entrepreneuse troque les étals de marchés contre les shootings de mode et les défilés.
Une canopée de fleurs pour le défilé Kenzo, une décoration de table pour un dîner VIP, une campagne pour Dior sauvage, une scénographie d’exposition… les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Claire Boreau s’épanouit entre les Halles de Rungis, l’atelier qu’elle partage avec sa nièce et la maison de famille où elle tient sa galerie de curiosités. Enfant, elle passait des heures dans le jardin à chasser les papillons, les fleurs et les cailloux.
Les réalisations de Claire Boreau revêtent les merveilles du monde, leurs connotations poétiques et leurs secrets sous influence de peintres et d’artistes. Dans son travail, on retrouve des natures mortes, des jardins sculptures peuplés de fragments géologiques et botaniques issus de contrées et d’époques plus ou moins lointaines, des représentations allégoriques de la métamorphose où l’artifice surpasse le réel. Des compositions immortalisées en clichés aux installations éphémères grandeur nature, l’œuvre de ses recherches appelle à l’expérience sensorielle. Entretien.
Comment définiriez-vous votre activité ?
On entend beaucoup parler de styliste floral ou de designer floral, mais j’aime penser que je suis tout simplement fleuriste. Je crée des décors ou des installations monumentales à l’occasion des défilés, d’expositions et d’événements pour des marques de mode. Je me suis aussi spécialisée dans le set design végétal, quasi exclusivement en parfumerie. Je m’occupe du sourcing et de la mise en scène des ingrédients dans les campagnes publicitaires. Ces deux facettes du métier se répondent bien. Dans l’événementiel, on réalise des décors un peu fous, dans une ambiance effervescente, avec des phases de montages très intenses. Pour le set design, tout est millimétré, c’est un travail de précision et de recherche. On nous met au défi de trouver un bois de santal, un bois d’oud, une vanille des Comores, une tubéreuse, une rose de mai ou de Damas, avec des caractéristiques bien particulières, dont il n’existe que de rares spécimens.
Étiez-vous prédisposée pour l’art floral ?
J’avais envie de travailler en galerie d’art ou chez un commissaire-priseur, mais à la fin de mes études, je me cherchais encore. Je suis partie en Italie, et après une première expérience professionnelle, j’ai décidé de rentrer à Paris pour passer le CAP fleuriste qui me semblait un bon compromis entre un métier artisanal et artistique. J’ai toujours oscillé entre ces deux milieux. Je viens d’une famille d’artisans bouchers passionnés d’art et de littérature. A priori, les halles de Rungis sont à mille lieues des cercles intellectuels et pourtant. Mon grand-père, en particulier, était un wannabe artiste. Il fréquentait les milieux artistiques de Saint-Germain-des-Prés, prenait des cours de théâtre au cours Charles Dulain, même s’il était destiné à devenir boucher comme son père. Néanmoins, il a continué à peindre et à collectionner des œuvres tout au long de sa vie.
Comment avez-vous percé ?
Il y a 15 ans, le métier de fleuriste en freelance n’existait pour ainsi dire pas. Aujourd’hui, c’est la norme. Les sociétés de production se sont constitué un répertoire d’indépendants qu’elles sollicitent régulièrement.
La « gentrification » des métiers de l’artisanat est un phénomène récent, facilité par l’accès à reconversion professionnelle. En 2016, quand j’ai commencé, tout le monde voulait devenir fleuriste. Les néo-artisans sont venus avec leur bagage intellectuel et la profession a bénéficié d’un véritable regain d’intérêt. Les fleuristes se sont mis à soigner leur image y compris ceux qui ont pignon sur rue (Debeaulieu, Castor, Éric Chauvin).
Pour ma part, j’ai tout misé sur Instagram. Mon copain de l’époque, qui était photographe, m’a aidée à faire la curation de mon compte avec des fleurs glanées çà et là. Et le magazine Milk m’a proposé une interview qui m’a fait décoller. J’ai eu beaucoup de chance !
Est-ce que le marché a évolué face au changement climatique ?
Il y a cinq ans encore, je recevais des briefs incluant des hortensias en plein mois de décembre ! Aujourd’hui, les marques demandent des fleurs de saison, et si possible locales. Certains fleuristes, comme Désirée, se sont engagés dans le 100 % hexagonal. Ils essaient de développer le plus de variétés possibles à travers une filière de proximité. Mais si demain tous les fleuristes se mettent à la fleur française, on n’en aura pas assez pour alimenter tout le marché (NDLR — plus de 80 % des fleurs coupées vendues en France sont importées - Sources : Valhor et FranceAgriMer). Et quand on sait qu’elle pousse à renfort d’engrais dans des serres chauffées, la fleur la plus responsable serait celle qu’on ne produit pas. C’est pareil pour la viande, il m’arrive de m’en passer pendant un mois, mais pour mon père, c’est impensable. C’était la ressource de mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Tout est affaire de compromis.
Comment travaillez-vous avec les marques de luxe ?
Je m’inspire des collections ou des codes d’une marque. Je prolonge l’histoire qu’elle raconte avec une orientation olfactive, une gamme de couleurs ou un style de vases… S’il s’agit de plantes médicinales par exemple, je peux proposer des fioles de biologie en verre Bécher ou Erlenmeyer. Pour la création de visuels, je compose aussi avec les minéraux, les fruits, les métaux… On peut me demander des muscs, des ambres avec une couleur très spéciale ou des morceaux de bois torsadés s’approchant d’un cèdre. L’enjeu consiste à trouver la matière qui incarne les ingrédients d’un parfum au plus juste. Je me suis créé un véritable cabinet de curiosités au fil de mes recherches. J’ai mes adresses secrètes de collectionneurs, que j’ai glanées en bouche-à-oreille et sur recommandations d’antiquaires. Je me suis retrouvée dans des histoires de chasses au trésor pas croyables !
À quoi peut-on reconnaître votre travail ?
Le thème de la disparition du visage revient un peu comme un gimmick dans mon travail. Pour les éditoriaux mode, je confectionne systématiquement des masques à partir d’insectes, de coquillages, de plumes…, toujours dans cet esprit de cabinet de curiosités ou de peintures surréalistes qui appellent au rêve. J’aime les artistes un peu fantasques comme Francis Bacon, Niki de Saint Phalle et les architectures merveilleuses tel Le Palais idéal du Facteur Cheval.
Quelles sont les tendances en matière de composition florale ?
La grande tendance des fleurs séchées est résolument terminée. Actuellement, on travaille en masses denses, d’une ou deux variétés de fleurs, et par aplats de couleurs, dans la lignée des fleuristes Doctor Cooper en Australie ou de Castor à Paris. On revient à une palette florale restreinte, qui n’a plus rien à voir avec les bouquets faussement désordonnés inspirés des maîtres flamands.
À quoi ressemble votre atelier ?
J’ai pris mes quartiers dans une ancienne usine en brique rouge à Arcueil. Mon atelier « historique » demeure dans le jardin de ma grand-mère, mais ici, j’ai plus de place pour faire les arrivages. Le lieu est stimulant, il abrite des sculpteurs et des artisans d’horizons variés. J’ai toujours un coup de main pour utiliser une scie sauteuse ou un fer à souder. Je m’y suis installée il y a un an avec ma nièce Léa que j’ai embarquée dans l’aventure avec moi. On travaille en binôme et c’est toujours une affaire de famille, comme mes parents avant moi.
Quel regard portez-vous sur l’avenir ?
Le métier de fleuriste, c’est un peu comme avocat. À l’école, on croise une majorité de femmes, mais les fleuristes stars sont souvent des hommes. Nous avons tous notre manière de travailler. Je me suis construite hors des sentiers battus, sur un modèle indépendant, avec une approche de management plus collaborative que hiérarchique et je souhaite préserver cet état d’esprit. En revanche, je me demande si mon métier va encore exister dans 20 ans. J’ai vu passer des campagnes publicitaires de parfums avec des images d’ingrédients générées par l’IA. On est encore loin du compte, mais elle va se perfectionner. Je ne pourrai pas changer la marche du monde, mais je pense qu’un projet esquissé à la main n’a pas la même charge émotionnelle. À nous de valoriser l’effort et l’intention derrière le geste.
Un bouquet en 6 étapes clés par Claire Boreau
#1 L’arrivage et le nettoyage des végétaux : on ôte les feuillages, les épines, on taille les tiges en biseau et on les met à l’eau.
#2 La sélection de fleurs : l’idéal est de faire un bouquet devant un miroir pour le voir des deux faces.
#3 La technique de la vrille : d’un mouvement on fait tourner le bouquet dans le même sens.
#4 Le style : on ajuste les fleurs pour les mettre la tête toutes à la même hauteur ou, au contraire, on tire sur certaines tiges pour créer du relief.
#5 L’attache : on enroule le raphia autour du bouquet, on le noue, puis on coupe le lien.
#6 La prévention : on coupe de nouveau les tiges en biseau (3,5 cm pour bien faire) et au couteau pour que les fleurs boivent bien.
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Rédaction © Juliette Sebille
Photo courtesy Claire Boreau
© Crédits
Photo 2 : Installation Land Full par Claire Boreau et Pierre-Alexandre Fillaire en collaboration avec la designer Renli Su, Paris Design Week septembre 2021.
Photos 5 & 9: art floral par Claire Boreau pour Z Magazine, photographié par Edgar Berg.
Photos 8 & 13 : art floral par Claire Boreau pour La Repubblica, photographié par Paul Rousteau.